Le Collectif anti-mafia Massimu Susini avait sollicité un rendez-vous avec M. Darmanin : aucune réponse ! Pourquoi ? L’explication vient, peut-être, de M. Fagni, Procureur Général auprès de la Cour d’Appel : « Les collectifs grossissent le trait sur cette dérive et cet abime mafieux qui gangrènerait la Corse (…) nous avons sur le territoire corse 25 clans criminels qui évoluent dans les micro-régions. » (France Info 22/07/2022) Un clan criminel pour 13000 habitants ! Le maillage et la méthodologie sont bien mafieux, mais la mafia n’existe pas. La mafia sera, sans aucun doute, d’accord ! Pourtant, son prédécesseur, M.Bessone, avait reconnu qu’ « il y a bien un système mafieux en Corse . » (Cuntrastu 01/02/2016) De son côté, M. Sturlèse, Avocat Général, en charge de la mise en œuvre du statut de repenti, déplorait : « Il ne faut pas avoir peur des mots. Il existe une mafia en France. Cette forme de criminalité se concentre essentiellement sur la région corso-marseillaise. Les autorités politiques françaises, dans leur grande majorité, refusent d’utiliser le terme. C’est un tort, car pour lutter efficacement contre un tel phénomène de violence, il faut d’abord le nommer correctement. » (Le Monde 28/04/2021) Même la JIRS, en charge de la criminalité corse, dans un rapport révélé par Le Monde, confirmait que désormais « le banditisme corse revêt toutes les
formes du phénomène mafieux » qui se caractérise par « l’interpénétration du banditisme, de l’économie et de la politique ». M. Darmanin récuse, dans un premier temps, le terme de mafia de manière curieuse « je parle français et en français cela veut dire criminalité organisée. » (Corse-Matin 22/07/2022) Quelques jours plus tôt, il avait déclaré, avec la même assurance, « nous ne pouvons pas risquer de laisser la Corse aux mains d’une certaine mafia. » (Le Monde 09/07/2022) Pour finir, il déclare : « Il y a, si j’ose dire, trois types de mafia qui existent : pour les stupéfiants, pour les marchés publics et parfois le monde économique et la spéculation foncière. » (Corsica Sera 22/07/2022) Voilà que le Ministre de l’Intérieur et le plus haut représentant de M. Dupont-Moretti, parfois à seulement quelques heures d’intervalles, se contredisent, contredisent leurs prédécesseurs et contredisent même leurs propres services qui luttent contre la mafia. De leur côté, les élus rencontrés par M.Darmanin sont restés muets. Totalement muets. Sachez messieurs que si la mafia tue, le silence tue aussi. Pour finir, M.Darmanin nous invite à « ne pas photocopier la législation italienne » pourtant reconnue comme « conforme à l’intérêt général » par la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Notre drame, M. le ministre de l’Intérieur, c’est qu’en Corse, si ces lois anti-mafia ne sont pas écrites avec de l’encre, elles le seront avec du sang !
Suite à l’assassinat d’Yvan Colonna et les manifestations qui ont suivi, le problème de l’autonomie « de plein droit et de plein exercice » a été, une fois de plus, mis en avant. De sa solution dépendraient la possibilité pour la Corse de commencer à se réapproprier son destin et le progrès social et économique nécessaires pour vivre dans une société enfin apaisée. Force est de constater que cette thèse, répétée comme un mantra, fait l’impasse sur une réalité incontournable qui détruit peu à peu notre communauté historique et l’espoir de partager, un jour, concrètement, le principe de l’égalité des corses devant la loi : l’emprise mafieuse de plus en plus forte sur notre île. Notre Collectif est favorable à un statut d’autonomie mais à la condition de ne pas dissocier lutte pour l’autonomie et combat contre la mafia. La lutte pour ce statut, dont le contenu précis reste à définir, ne saurait occulter ce problème, ce cancer. Et il n’est nul besoin d’attendre la modification de l’article 72-4 de la Constitution et l’inscription de la Corse dans ce texte, pour lutter concrètement, dès à présent, contre la mafia. A quoi, à qui servirait cette autonomie si l’économie la plus rentable de la Corse était progressivement mise sous tutelle par la mafia et les élus réduits au rôle de gestionnaires-apporteurs de marchés publics et terrains à bâtir aux « familles » qui contrôlent les centres commerciaux, le fret, l’économie des déchets, le transport maritime, le bâtiment et les travaux publics ?
A quoi, à qui servirait cette autonomie si elle ne devait profiter en réalité qu’à quelques familles qui constituent aujourd’hui en Corse une nouvelle oligarchie qui contrôle l’économie la plus rentable et de plus en plus pénétrée par la mafia ? A quoi, à qui servirait cette autonomie si nos élus ne se décidaient pas, toutes tendances confondues, à couper définitivement tout lien avec des équipes mafieuses ?
Bref, on ne peut lutter pour l’autonomie sans lutter, en même temps, concrètement contre la mafia sauf à réduire, de fait ce combat à l’obtention d’un statut fiscal favorable pour les « affaires ». Comme nous ne cessons de le répéter depuis la création de notre collectif, la CDC dispose de moyens concrets pour lutter, dans ses domaines de compétence, contre l’emprise mafieuse…et il serait temps qu’elle agisse, avant même de s’engager dans un processus de négociation de l’autonomie. Ce qui dépend de la CdC : Réactiver la commission « violence » : Réactivée après l’émotion créée par l’assassinat de Massimu Susini, cette commission, dont le nom caractérise, à lui seul, un déni évident compte tenu de l’emprise croissante de la mafia en Corse, n’a plus été réunie : il faudra attendre combien d’assassinats, d’incendies criminels en plus pour réveiller la conscience de nos élus et qu’ils acceptent de débattre de ce qu’ils pourraient concrètement faire en Corse, aujourd’hui, contre cette plaie ? Nous demandons que soit organisé aussi un débat sur la nécessité de renforcer l’arsenal judiciaire en commençant par la création du délit d’association mafieuse. Les élus qui auront la responsabilité de négocier le statut d’autonomie devront, en même temps, porter cette demande. La lutte contre la mafia n’est pas seulement qu’une question de moyens humains ou matériels. Il faut nommer le mal et le combattre en tant que tel. Nous savons qu’il s’agit là d’un combat difficile mais il est vital.
Sans cesse promise, sans cesse reportée, cette commission sera-t-elle enfin réunie un jour pour qu’enfin, à minima, un diagnostic soit posé ? Un « pacte anti-corruption » déjà oublié ? Les marchés publics sont une cible de la mafia en Corse, notamment ceux qui dépendent de la CDC. Ils permettent à la mafia de pénétrer l’économie légale. Mme Wanda Mastor a rappelé dans son rapport l’obligation légale (Loi sapin II) de bâtir un plan anti-corruption (proposition 11) et l’insuffisance des dispositifs actuels, au sein de la CDC, pour contrôler les politiques publiques. Pour l’instant les corses attendent toujours ce pacte anti-corruption qui devrait permettre de lutter efficacement, notamment, contre la pénétration mafieuse dans les marchés publics. Il ne dépend que de la CDC que la « maison de cristal » définisse et mette concrètement en œuvre ce plan, nul besoin d’attendre l’autonomie.
Deux exemples , parmi d’autres, comme autant de symboles du renoncement : 1) Le « Plan déchets » La Jirs a confirmé dans son rapport que la mafia corse était associée à la gestion des déchets et que « plusieurs assassinats, pour la plupart non élucidés, peuvent être mis directement en relation avec cette activité » (Le Monde 23/10/2021)
S’agissant du choix du terrain de Monte, le maire de cette commune, vice- président du Syvadec, déclarait : « J’ai proposé Monte parce que personne
d’autre se proposait, et qu’il fallait bien trouver un endroit. Mais c’est un terrain glissant. C’est dangereux. Ce sont des montants énormes dont on parle. Et en Corse, on a déjà tué des gens qui cherchaient à trouver des solutions pour les déchets. » (Via Stella 11/01/2022) Nous sommes totalement d’accord avec cette analyse très lucide de la situation actuelle en Corse. La CDC a la compétence légale pour établir et voter le plan déchets. Il
constitue un volet du Padduc. Il est attendu du plan qu’il « planifie globalement la politique à adopter en matière de déchets sur une période de 6 ans et 12 ans et qu’il soit utilisé par les décideurs locaux comme un outil qui oriente leurs décisions ». Il appartient aux EPCI et au Syvadec de le mettre en œuvre. Il n’appartient pas aux décideurs locaux de décider de la politique de planification et de gestion des déchets. Telle est l’actuelle hiérarchie des compétences. En pratique ce n’est pas ce qui se passe. La CDC a terminé son projet de plan déchets qu’elle soumet pour avis au CESEC avant de solliciter l’avis consultatif de l’Assemblée de Corse le 28 ou 29/04/2022.
Le Syvadec, sans attendre le Plan déchets définitifs, a déjà porté le marché de centre de surtri du grand Bastia dès le mois de Mars 2021 et a délégué la responsabilité de celui d’Ajaccio à la CAPA. Ces marchés en cours de procédure d’attribution prévoient que la conception, la construction et l’exploitation de ces centres seront confiées à deux groupements,ce qui créerait au Nord et au Sud une situation de monopole dans le cadre d’une gestion privée. A ce stade il faut rappeler que le 26/02/21 la CDC avait « réaffirmé solennellement son attachement au principe d’une gestion publique des infrastructures de traitement des déchets et aux projets d’initiative publique s’inscrivant en cohérence avec ce principe » Dans le « Rapport du Président du Conseil Exécutif » est réaffirmée « la volonté de la CDC de mettre en place un service public de gestion des déchets permettant de maîtriser les coûts pour les usagers (…) et d’éviter toute situation monopolistique ou oligopolistique d’acteurs privés dans un secteur stratégique et particulièrement sensible». Ce rapport est annexé au projet de Plan présenté par l’Office de l’Environnement. Curieusement ce choix stratégique n’est jamais cité ou défendu dans le
« Plan Territorial de Prévention et de Gestion des déchets de Corse » présenté par l’Office de l’Environnement or, c’est bien ce document qui va être soumis aux élus et à l’enquête publique avant d’être définitivement adopté. Aucune précision n’est apportée en ce qui concerne ce service public de gestion supposé jouer un rôle capital : qui l’assumera (Office de l’Environnement ?), régie publique ? Quels seront ses moyens ?
Sur quelles bases concrètes se réaliserait le « partenariat public- privé » annoncé pour certaines structures ?
C’est le flou le plus complet. En examinant le Projet de Plan présenté par l’Office de l’Environnement force est de constater que cette gestion publique n’est pas traitée. Ni les élus ni les Corses ne pourront se prononcer en connaissance de cause. L’examen du Projet de Plan démontre qu’en fait le choix du Syvadec et de la CAPA de faire concevoir, construire et gérer les deux centres de surtri et la préparation et l’incinération de combustibles solides de récupération par des groupes privés n’est absolument pas remis en cause. Il est seulement indiqué : « ces centres de surtri seront implantés autour des deux bassins de production de Corse. (…) Le Conseil Exécutif propose en conséquence: Premièrement de retenir la solution des centres de surtri modulables couplés et dimensionnés à la montée en puissance du tri à la source. Deuxièmement de réaliser des études techniques, économiques et environnementales afin de renforcer l’efficacité des centres de surtri tels que projetés dans le PTPGD par la mise en œuvre d’une filière CSR de valorisation énergétique (chaleur, hydrogène, électricité) » études techniques qui avaient été décidées le 26/02/2021, y compris les études de faisabilité des centres de surtri! Encore une année de perdu ! Pour quelles raisons la CDC s’incline -t-elle, en fait, devant les choix faits par la CAPA et le SYVADEC qui l’ont mise devant le fait accompli ?
A quoi bon avoir le pouvoir légal d’établir un plan que doivent mettre en œuvre les décideurs locaux si les deux marchés publics portés par la CAPA et le Syvadec s’imposent à la CDC alors qu’il s’agit des deux principaux investissements qui vont déterminer le traitement des déchets pendant des décennies ?
L’Autorité de la concurrence a dénoncé, dans son rapport, « le manque de transparence de la gestion publique des déchets en Corse » et « le risque d’abus de position dominante dans le secteur de la gestion des déchets ». La Chambre régionale des comptes, dans son dernier rapport, avait dénoncé les mêmes dérives.
A aucun moment la CDC ne critique, dans son dernier rapport, les options des marchés publics de la CAPA et du Syvadec pour le Grand Bastia. Les Corses sont en droit d’attendre de la CDC un plan d’action clair, notamment en ce qui concerne la gestion publique des infrastructures de traitement des déchets. On ne saurait, dans ce domaine, se contenter de la mise en avant de principes apparemment vertueux mais dont on cherchera, en vain, la possible concrétisation. Or la CDC le reconnait à demi-mots: ce secteur stratégique de l’économie est « particulièrement sensible » pour ne pas dire pénétré par la mafia. Il serait illusoire d’imaginer que la mafia des déchets ne veuille pas profiter de l’opportunité inespérée que constitue une gestion privée des infrastructures de traitement des déchets alors que les enjeux financiers sont colossaux :
Quelques chiffres: Coût d’un centre de tri Déchets Ménagers et Assimilés (DMA) : 11
millions d’euros/site
Centre de tri Déchets des Activités Economiques (DAE) et Déchets Non Dangereux (DND) du BTP : 7,5 millions d’euros /site Unité de préparation des Combustibles Solides de Récupération (CSR) : 45 millions d’euros/site
Chaufferie (ndlr: incinérateur avec production d’énergie) pour CSR : 119 millions d’euros / site. (cf p 133-153 Aucune analyse détaillée des coûts n’est proposée dans le plan. Pour quelles raisons l’Office de l’Environnement, ou une régie publique , ne seraient-ils pas chargés de gérer le traitement des déchets une fois les infrastructures réalisées comme cela se pratique régulièrement sur le continent ?
La création d’une situation de monopole de fait au profit de groupes privés est le pire choix qui pouvait être fait en Corse compte tenu de l’emprise mafieuse dans ce secteur de l’économie insulaire.
Les corses étaient en droit d’attendre de la CDC un choix clair au service du bien commun et non au profit de groupes privés qui vont se gaver d’argent public. (Nous n’abordons pas ici le choix fait par la CDC en faveur de la filière CSR contredisant ainsi ce qu’elle affirmait encore en 2021)
2) Carte des ESA, révision du Padduc et mafia du béton : La carte des ESA va être annulée, à nouveau, alors que doit être réalisée aussi la révision du Padduc ! La CdC, dans ces deux domaines, est seule responsable.
Là encore, nul besoin d’attendre l’autonomie pour inscrire dans le Padduc, les critères clairs qui caractérisent les ESA, conformes à la réalité des terres agricoles en Corse, afin de les sauver de la mafia du béton et assurer la vitale autonomie alimentaire. Cette carte va donc devoir être à nouveau révisée, provoquant, en attendant sa future adoption, un vide juridique dans lequel vont s’engouffrer les spéculateurs. Que compte faire concrètement la Collectivité de Corse ? Va-t-elle enfin se décider à agir en justice contre les documents d’urbanisme qui violent le Padduc et/ou la Loi Littoral ? S’agissant de la révision du Padduc on ne peut que constater l’absence totale de clarté en ce qui concerne les intentions de la Collectivité de Corse : les corses ne sont au courant de rien alors que l’enjeu est capital et que la spéculation immobilière est une des principales sources de profit pour la « criminalité organisée ». Le « détricotage » de la Loi Littoral et une révision généreuse du Padduc est l’objectif prioritaire des spéculateurs, de la mafia du béton de luxe : là encore, que compte faire la CdC ?
Perspectives
Il est illusoire de prétendre construire l’autonomie de la Corse si la CDC refuse de lutter, dès à présent, contre la mafia, dans les domaines qui relèvent directement de sa compétence. Une autonomie fondée sur une économie insulaire pénétrée par la mafia ne serait qu’une illusion d’émancipation, une soumission de fait. Une autonomie fondée sur le pouvoir économique, et donc politique, de quelques familles n’est qu’un leurre. Qu’on ne nous accuse pas de nuire, par notre intervention, au consensus qui s’est dégagé en vue de l’obtention de cette autonomie dont le contenu concret reste étrangement flou. Nous nous interrogeons légitimement sur le changement de cap si soudain
du gouvernement à l’approche des élections présidentielles mais surtout à l’approche des immenses chantiers et marchés que seraient la réalisation et l’exploitation des usines de traitement des déchets, la construction de futur port de commerce Bastia et l’immense zone d’aménagement qui lui sera contigüe, et bien sûr une révision du PADDUC qui ouvrirait plus encore nos côtes à l’urbanisation.
L’autonomie de la Corse, si elle doit se réaliser, ne peut se faire sur la base d’un rapprochement et un partage du « gâteau » entre une quinzaine de familles, la mafia et les multinationales françaises du déchet, de l’énergie et des travaux publics, au détriment des corses condamnés à être les victimes de marchandages occultes. Qu’on ne nous reproche pas d’occulter les responsabilités accablantes de l’Etat et de sa Justice dans la quasi -faillite de la lutte contre la mafia qu’il refuse de nommer en tant que tel et qui s’oppose à la mise en œuvre d’une législation adaptée à ce type de criminalité : nous n’avons cessé de le faire depuis la création du Collectif. Mais un consensus fondé sur le déni de la réalité mafieuse à l’œuvre en Corse et sur le refus de la combattre concrètement dès aujourd’hui, ne sera qu’une trahison de plus des légitimes espoirs de notre peuple et de sa jeunesse.
Siamo andati in Corsica, dove un rapporto riservato della magistratura – svelato dal quotidiano Le Monde – ha invitato il governo ad adottare una legislazione antimafia sul modello italiano: ne abbiamo parlato con Jean-Toussaint Plasenzotti (fondatore del collettivo antimafia « Massimu Susini », intitolato al nipote ucciso nel 2019), con Marie-Françoise Stefani (giornalista di France 3 Corse, autrice del libro « Une Famille dans la Mafia ») e con Federico Varese (professore di Criminologia all’Università di Oxford, esperto di mafie transnazionali). Siamo inoltre tornati in Etiopia con la mappa di Luca Mazzali – cartografo di App&Ars che vedete sotto – e con la voce di Sisay Sahlu (Giornalista, vice direttore a The Reporter Ethiopia, il principale settimanale del paese). Abbiamo anche analizzato l’impatto della visita della delegazione del Parlamento europeo a Taiwan con Suzanne Lynch (giornalista di Politico.eu).
Radio 24 – Nessun luogo è lontano – 5 novembre 2021