Lettre à la CDC

M. le Président du Conseil Exécutif, M. le Président de l’Assemblée de Corse, Mes et MM. les Conseillers Exécutifs.

Après l’assassinat de Massimu Susini, par un groupe mafieux, nous avons décidé de créer le collectif pour exprimer notre révolte mais aussi pour nous donner les moyens de nous opposer à ce danger mortel pour la Corse et les Corses. Nous voulons nous doter des outils juridiques afin d’agir en justice en nous constituant partie civile dans les procédures où nous considérerons que des pratiques mafieuses sont en œuvre.

Notamment celles ayant pour but le contrôle d’activités économiques et financières, le détournement de l’argent public du fait de la complicité ou de pressions concernant les responsables économiques, politiques ou des institutions telles que les collectivités territoriales, les chambres de commerce, d’agriculture, les offices de la CdC ou la CdC elle-même. Nous y incluons les institutions étatiques et les pratiques électorales frauduleuses.

L’action de notre collectif sur le plan pénal et civil s’inscrit dans la démarche citoyenne des associations de défense de l’environnement qui, depuis plus de 30 ans, mènent un combat sans répit contre les documents d’urbanisme dont la finalité se résume souvent, pour l’essentiel, à construire toujours plus de résidences secondaires sur les terres agricoles. La spéculation foncière et immobilière, vous n’êtes pas sans le savoir, est le champ d’intervention privilégié de la mafia. Non seulement son action est dommageable pour notre agriculture, mais elle empêche les jeunes Corses d’accéder à la propriété et favorise une colonisation de peuplement effrénée.

Ce combat pour la terre, le Collectif Loi Littoral l’a aussi mené. Certains partis, aujourd’hui majoritaires à la CdC, en étaient partie prenante. Ils sont aujourd’hui bien muets.

Depuis quatre ans, depuis l’élection d’une majorité nationaliste, la frénésie spéculative, non seulement n’a pas été freinée, mais s’est au contraire inexplicablement accélérée.

En violation du Padduc, des milliers d’hectares de terres agricoles ont été bétonnés, des pans entiers d’espaces, parmi les plus remarquables ont été profanés, participant à la désanctuarisation de la Corse, prônée par Camille de Rocca Serra, donnant force de loi au célèbre « on ne va pas laisser que du maquis à nos enfants » de Georges Mela.

On n’a jamais autant construit en Corse qui bat le triste record français du pourcentage de résidences secondaires.  

Défendre la terre, notre terre et en particulier, les terres agricoles qui devaient nous permettre, selon le Padduc, d’acquérir notre autonomie alimentaire à moyen terme, était et doit demeurer un des fondamentaux pour la survie et l’avenir de notre communauté historique.

Compte tenu de cet enjeu, de la situation dramatique que vit la Corse aujourd’hui, et au vu des moyens qui sont les vôtres, politiques, juridiques (Article L 142 -4 notamment : « Les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les faits portant un préjudice direct ou indirect au territoire sur lequel ils exercent leurs compétences et constituant une infraction aux dispositions législatives relatives à la protection de la nature et de l’environnement ainsi qu’aux textes pris pour leur application ».), financiers, techniques et humains, capables d’enrayer cette spirale mortifère s’ils sont mis réellement en œuvre. Les Corses qui vous ont élus, étaient et sont donc en droit de vous demander : quand allez-vous enfin vous décider à défendre concrètement notre terre contre ce raz-de-marée de béton mafieux ? Quand allez-vous vous décider à faire respecter le Padduc qui a force de loi en Corse ?

Padduc que vous avez largement contribué à élaborer, que vous avez voté, à juste titre, car il ouvrait un champ d’espoir pour la préservation de la terre et un début de développement harmonieux.

Nul n’a oublié les accolades, les embrassades, les Evviva qui ont résonné dans l’hémicycle après ce vote historique, ni le « Avà sì chì si pò dì chì a terra ùn hè à vende » prononcé dans l’émotion du moment.

Interrogé sur RCFM au sujet de l’isolement des associations qui mènent seules, en première ligne, ce combat essentiel, le président de l’exécutif a répondu que les associations de défense de l’environnement « sont dans une logique associative, nous sommes dans une logique institutionnelle. Beaucoup de maires nous reprochent d’être trop exigeants, d’être trop durs avec leur projet de PLU et leur vision de l’aménagement du territoire.
Nous essayons de défendre l’intérêt général. »

Soit on défend l’intérêt commun, soit on gère les différents pouvoirs dans un but électoraliste. La logique n’est pas la même, les conséquences non plus.

Laisser certains maires produire des documents d’urbanisme qui livrent des centaines d’hectares à la spéculation, spéculation dont le lien avec la mafia n’est plus à faire, ce n’est certainement pas agir pour l’intérêt commun. C’est plutôt renforcer les forces obscures et leur action de prédation.

Et plus loin : « (…) je ne vais pas me laisser attirer dans un jeu institutionnel qui n’est pas celui qui est actuellement organisé par la loi. Le contrôle de la légalité c’est l’Etat ». Nous pensions que l’engagement électoral fondé sur 40 ans de lutte et de sacrifices, était l’intérêt collectif des Corses.

Ainsi donc la mafia de la spéculation et du béton peut continuer son œuvre prédatrice ! Pour lutter contre cette destruction irréversible de notre patrimoine, bien commun inaliénable, les associations et les citoyens qui comme Massimu Susini se sont levés pour s’y opposer, resteront donc, en réalité, seuls, totalement seuls ?

Cette « logique institutionnelle » ne peut être une justification à une démission de fait.

« Il n’y a pas d’autres chemins que celui de la démocratie ! », tel était le credo de départ.

Eh bien, nous vous le demandons, nous vous adjurons, d’utiliser les moyens légaux que la démocratie vous donne !

Agissez en justice aux côtés des associations ! Reconstruisez la digue !

Vous avez prêté serment : « Facciu ghjuramentu di travaglià in u quatru di e mo funzione cù u più gran rispettu di l’interessu generale è à prò di u populu corsu », serment prêté sur le texte de la « Ghjustificazione di a Rivuluzione di Corsica ».

Ce serment vous confère d’immenses responsabilités : la défense de l’intérêt général, du bien commun, u Cumunu, car ce qui fait Peuple, ce qui fait Langue, ce qui fait Nation, ne peut être une somme d’intérêts privés.

Agissez !  Menez le combat ! Votre soutien ne peut être seulement moral, après les attentats, au moment des conférences de presse ou lors d’un enterrement après un assassinat.

Ce soutien vient trop tard ! Et notre collectif s’en passera !

Ne pas agir est criminel, dans la mesure où vous laissez notre peuple et les associations démunis face aux mafieux.

La mafia détruit notre communauté historique, elle la détruit moralement et elle la détruit en l’assassinant. Son emprise vise à être totale.

Quelques familles contrôlent désormais la part la plus rentable de notre économie, BTP, Immobilier, transports terrestres et maritimes, déchets, grande distribution, etc.

Nul n’ignore que quelques équipes de mafieux les dominent et les « protègent » sans être inquiétées par l’Etat. Pendant ce temps la CdC « gère » : « Les républiques disparaissent lorsqu’on y trouve des particuliers si riches, qui au mépris du mérite et des lois, s’imposent à la multitude. » (Pasquale Paoli 15 juillet 1764).

C’est un choix de société qui s’impose de fait. Où la société n’a pas son mot à dire. 

Pourtant vous avez légitimement votre mot à dire. Voulez-vous le dire ?

C’est un combat décisif.

Rinatu Coti rappelait récemment : « Nous sommes une communauté historique et il nous appartient de faire tout ce que nous pouvons pour la préserver et la transmettre en meilleur état à la future génération » et, parlant de nos élus nationalistes : « ils doivent protéger et respecter davantage la Corse, prendre conscience de la nécessité de rendre des comptes aux générations à venir » (Corse Matin).

Et à présent, comment ne pas se souvenir du discours du Dr Edmond Simeoni à l’Assemblée de Corse le 1er avril 2004, et rappelé fort justement par le journal Arritti du 7 octobre 2019 : http://arritti.corsica/da-leghje/le-peril-mafieux/

« Nouveau rappel des innombrables messages que le Dr Edmond Simeoni a délivrés tout au long de sa vie de militant inlassable pour la construction d’une Corse libre et démocratique. Il voyait clair depuis longtemps sur ce qu’il appelait le « péril mafieux » qui concentre de fortes inquiétudes aujourd’hui. Il en dénonçait les mécanismes mais aussi, et surtout, il appelait à la part du chemin à faire pour le peuple corse et pour son aile marchante, le mouvement national. Il alertait sans relâche sur nos responsabilités collectives, sur l’importance du socle démocratique à préserver et à faire fructifier.

Ce texte, extrait de son intervention qui a fait date, adressée à l’ensemble des forces politiques de l’île et prononcée devant l’Assemblée de Corse le 1er avril 2004. Il y a 15 ans :

« Je veux vous dire simplement qu’il faut faire un effort collectif de révision de nos conceptions que les campanilismes étriqués ; qu’il faut avoir recours à des forces transcourantes, qu’il faut mobiliser la société ; qu’il faut donner de l’espoir ; qu’il faut donner du courage ; qu’il faut s’engager ; qu’il faut se respecter. Et ce ne sont pas les combines d’arrière-cour qui résoudront quelque chose. Ne croyez pas que le problème corse va être résolu par la répression. Ne croyez pas que le problème corse va être résolu par le laxisme. Le problème corse ne peut être résolu que par la concertation, par la démocratie, qu’il faut faire vivre et revivifier, par le travail collectif, par un effort de chacun sur lui-même se tenant à distance de ses propres coteries et de ses propres amis. Voilà l’effort qu’il faut faire sur nous-mêmes. Ce qui guette la Corse, ce n’est pas de devenir une région du Tiers-Monde ou du Quart-Monde.

Ce qui guette la Corse, c’est qu’en dix, quinze, vingt ans, elle ne devienne un pays comme la Sicile. Pourquoi ? Parce que c’est un pays qui a des richesses naturelles considérables, où la violence est endémique depuis des centaines d’années et qu’elle a connu, c’est vrai, un regain contemporain depuis vingt ans.

Mais aussi parce que c’est un pays où demain, avec un marché européen extrêmement solvable, vous avez la possibilité très vite de créer une économie artificielle.

Oui, vous allez voir des héliports, des ports, des fréquentations, des sociétés de gardiennage, vous allez voir des drapeaux corses partout, mais vous aurez perdu l’essentiel : vous aurez perdu votre âme et vous aurez rendu impossible tout retour à la démocratie. Ce pays est plus menacé par la mafia dans les cinq, dix, quinze ans qui viennent que par le sous-développement. Bien entendu, il y aura une Corse à plusieurs vitesses, nous le savons. Moi, je vous demande, je vous adjure, de bien comprendre que sans aucun calcul, nous vous tendons la main à toutes et à tous. »

Prenez-vous cet héritage à votre compte ou le laissez-vous sur le bas-côté de votre si longue route ?

Nous, vous demandons, sereinement, de mettre en œuvre tous les moyens qui sont les vôtres, et ils sont nombreux, pour mettre un coup d’arrêt au glissement de la société corse vers un sombre avenir, afin que la jeunesse, « la prunelle de nos yeux », ainsi que le Président de l’exécutif l’avait nommée, grandisse dans la paix et le développement harmonieux pour le bien commun.

Nous sollicitons un entretien pour réfléchir et échanger sur le contenu de ce courrier et sur tout sujet qu’il vous semblera utile d’évoquer. Afin de passer aux mesures indispensables pour commencer à sortir de cette impasse mortifère.

M. le Président de l’Exécutif, M. le Président de l’Assemblée de Corse, Mes et MM. les Conseillers Exécutifs, sachez que malgré nos différences, voire nos divergences, si nous sommes tous acquis à l’intérêt commun de la Corse et des Corses, il n’y a aucune raison pour que nous ne trouvions pas de solution au grave danger qui pèse sur nous tous.

Nous restons cependant persuadés, « par l’optimisme de la volonté », que nous sommes capables d’y arriver si nous mettons nos forces en commun pour que vive le peuple corse et que s’épanouisse notre pays, la Corse.

Respectueusement.

U CULLITTIVU MASSIMU SUSINI