Lutte pour l’autonomie et lutte contre la mafia : un
combat indissociable.

Suite à l’assassinat d’Yvan Colonna et les manifestations qui ont suivi, le
problème de l’autonomie « de plein droit et de plein exercice » a été, une
fois de plus, mis en avant. De sa solution dépendraient la possibilité pour
la Corse de commencer à se réapproprier son destin et le progrès social et
économique nécessaires pour vivre dans une société enfin apaisée.
Force est de constater que cette thèse, répétée comme un mantra, fait
l’impasse sur une réalité incontournable qui détruit peu à peu notre
communauté historique et l’espoir de partager, un jour, concrètement, le
principe de l’égalité des corses devant la loi : l’emprise mafieuse de plus en
plus forte sur notre île.
Notre Collectif est favorable à un statut d’autonomie mais à la condition de
ne pas dissocier lutte pour l’autonomie et combat contre la mafia.
La lutte pour ce statut, dont le contenu précis reste à définir, ne saurait
occulter ce problème, ce cancer. Et il n’est nul besoin d’attendre la
modification de l’article 72-4 de la Constitution et l’inscription de la Corse
dans ce texte, pour lutter concrètement, dès à présent, contre la mafia.
A quoi, à qui servirait cette autonomie si l’économie la plus rentable de la
Corse était progressivement mise sous tutelle par la mafia et les élus
réduits au rôle de gestionnaires-apporteurs de marchés publics et terrains à
bâtir aux « familles » qui contrôlent les centres commerciaux, le fret,
l’économie des déchets, le transport maritime, le bâtiment et les travaux
publics ?

A quoi, à qui servirait cette autonomie si elle ne devait profiter en réalité
qu’à quelques familles qui constituent aujourd’hui en Corse une nouvelle
oligarchie qui contrôle l’économie la plus rentable et de plus en plus
pénétrée par la mafia ?
A quoi, à qui servirait cette autonomie si nos élus ne se décidaient pas,
toutes tendances confondues, à couper définitivement tout lien avec des
équipes mafieuses ?

Bref, on ne peut lutter pour l’autonomie sans lutter, en même temps,
concrètement contre la mafia sauf à réduire, de fait ce combat à l’obtention
d’un statut fiscal favorable pour les « affaires ».
Comme nous ne cessons de le répéter depuis la création de notre collectif,
la CDC dispose de moyens concrets pour lutter, dans ses domaines de
compétence, contre l’emprise mafieuse…et il serait temps qu’elle agisse,
avant même de s’engager dans un processus de négociation de
l’autonomie.
Ce qui dépend de la CdC :
Réactiver la commission « violence » :
Réactivée après l’émotion créée par l’assassinat de Massimu Susini, cette
commission, dont le nom caractérise, à lui seul, un déni évident compte
tenu de l’emprise croissante de la mafia en Corse, n’a plus été réunie : il
faudra attendre combien d’assassinats, d’incendies criminels en plus pour
réveiller la conscience de nos élus et qu’ils acceptent de débattre de ce
qu’ils pourraient concrètement faire en Corse, aujourd’hui, contre cette
plaie ?
Nous demandons que soit organisé aussi un débat sur la nécessité de
renforcer l’arsenal judiciaire en commençant par la création du délit
d’association mafieuse. Les élus qui auront la responsabilité de négocier le
statut d’autonomie devront, en même temps, porter cette demande. La lutte
contre la mafia n’est pas seulement qu’une question de moyens humains ou
matériels. Il faut nommer le mal et le combattre en tant que tel. Nous
savons qu’il s’agit là d’un combat difficile mais il est vital.

Sans cesse promise, sans cesse reportée, cette commission sera-t-elle enfin
réunie un jour pour qu’enfin, à minima, un diagnostic soit posé ?
Un « pacte anti-corruption » déjà oublié ?
Les marchés publics sont une cible de la mafia en Corse, notamment ceux
qui dépendent de la CDC.
Ils permettent à la mafia de pénétrer l’économie légale.
Mme Wanda Mastor a rappelé dans son rapport l’obligation légale (Loi
sapin II) de bâtir un plan anti-corruption (proposition 11) et l’insuffisance
des dispositifs actuels, au sein de la CDC, pour contrôler les politiques
publiques.
Pour l’instant les corses attendent toujours ce pacte anti-corruption qui
devrait permettre de lutter efficacement, notamment, contre la pénétration
mafieuse dans les marchés publics. Il ne dépend que de la CDC que la
« maison de cristal » définisse et mette concrètement en œuvre ce plan, nul
besoin d’attendre l’autonomie.

Deux exemples , parmi d’autres, comme autant de symboles du
renoncement :
1) Le « Plan déchets »
La Jirs a confirmé dans son rapport que la mafia corse était associée à la
gestion des déchets et que « plusieurs assassinats, pour la plupart non
élucidés, peuvent être mis directement en relation avec cette activité »
(Le Monde 23/10/2021)

S’agissant du choix du terrain de Monte, le maire de cette commune, vice-
président du Syvadec, déclarait : « J’ai proposé Monte parce que personne

d’autre se proposait, et qu’il fallait bien trouver un endroit. Mais c’est un
terrain glissant. C’est dangereux. Ce sont des montants énormes dont on
parle. Et en Corse, on a déjà tué des gens qui cherchaient à trouver des
solutions pour les déchets. » (Via Stella 11/01/2022)
Nous sommes totalement d’accord avec cette analyse très lucide de la
situation actuelle en Corse.
La CDC a la compétence légale pour établir et voter le plan déchets. Il

constitue un volet du Padduc. Il est attendu du plan qu’il « planifie
globalement la politique à adopter en matière de déchets sur une période
de 6 ans et 12 ans et qu’il soit utilisé par les décideurs locaux comme un
outil qui oriente leurs décisions ». Il appartient aux EPCI et au Syvadec de
le mettre en œuvre.
Il n’appartient pas aux décideurs locaux de décider de la politique de
planification et de gestion des déchets.
Telle est l’actuelle hiérarchie des compétences. En pratique ce n’est pas ce
qui se passe.
La CDC a terminé son projet de plan déchets qu’elle soumet pour avis au
CESEC avant de solliciter l’avis consultatif de l’Assemblée de Corse le 28
ou 29/04/2022.

Le Syvadec, sans attendre le Plan déchets définitifs, a déjà porté le marché
de centre de surtri du grand Bastia dès le mois de Mars 2021 et a délégué
la responsabilité de celui d’Ajaccio à la CAPA. Ces marchés en cours de
procédure d’attribution prévoient que la conception, la construction et
l’exploitation de ces centres seront confiées à deux groupements,ce qui
créerait au Nord et au Sud une situation de monopole dans le cadre d’une
gestion privée.
A ce stade il faut rappeler que le 26/02/21 la CDC avait « réaffirmé
solennellement son attachement au principe d’une gestion publique des
infrastructures de traitement des déchets et aux projets d’initiative
publique s’inscrivant en cohérence avec ce principe »
Dans le « Rapport du Président du Conseil Exécutif » est réaffirmée « la
volonté de la CDC de mettre en place un service public de gestion des
déchets permettant de maîtriser les coûts pour les usagers (…) et d’éviter
toute situation monopolistique ou oligopolistique d’acteurs privés dans un
secteur stratégique et particulièrement sensible». Ce rapport est annexé au
projet de Plan présenté par l’Office de l’Environnement.
Curieusement ce choix stratégique n’est jamais cité ou défendu dans le

« Plan Territorial de Prévention et de Gestion des déchets de Corse »
présenté par l’Office de l’Environnement or, c’est bien ce document qui va
être soumis aux élus et à l’enquête publique avant d’être définitivement
adopté.
Aucune précision n’est apportée en ce qui concerne ce service public de
gestion supposé jouer un rôle capital : qui l’assumera (Office de
l’Environnement ?), régie publique ?
Quels seront ses moyens ?

Sur quelles bases concrètes se réaliserait le « partenariat public-
privé » annoncé pour certaines structures ?

C’est le flou le plus complet. En examinant le Projet de Plan présenté par
l’Office de l’Environnement force est de constater que cette gestion
publique n’est pas traitée. Ni les élus ni les Corses ne pourront se
prononcer en connaissance de cause.
L’examen du Projet de Plan démontre qu’en fait le choix du Syvadec et de
la CAPA de faire concevoir, construire et gérer les deux centres de surtri et
la préparation et l’incinération de combustibles solides de récupération par
des groupes privés n’est absolument pas remis en cause. Il est seulement
indiqué : « ces centres de surtri seront implantés autour des deux bassins
de production de Corse. (…) Le Conseil Exécutif propose en conséquence:
Premièrement de retenir la solution des centres de surtri modulables
couplés et dimensionnés à la montée en puissance du tri à la source.
Deuxièmement de réaliser des études techniques, économiques et
environnementales afin de renforcer l’efficacité des centres de surtri tels
que projetés dans le PTPGD par la mise en œuvre d’une filière CSR de
valorisation énergétique (chaleur, hydrogène, électricité) » études
techniques qui avaient été décidées le 26/02/2021, y compris les études de
faisabilité des centres de surtri! Encore une année de perdu !
Pour quelles raisons la CDC s’incline -t-elle, en fait, devant les choix faits
par la CAPA et le SYVADEC qui l’ont mise devant le fait accompli ?

A quoi bon avoir le pouvoir légal d’établir un plan que doivent mettre en
œuvre les décideurs locaux si les deux marchés publics portés par la CAPA
et le Syvadec s’imposent à la CDC alors qu’il s’agit des deux principaux
investissements qui vont déterminer le traitement des déchets pendant des
décennies ?

L’Autorité de la concurrence a dénoncé, dans son rapport, « le
manque de transparence de la gestion publique des déchets en Corse » et
« le risque d’abus de position dominante dans le secteur de la gestion des
déchets ».
La Chambre régionale des comptes, dans son dernier rapport, avait
dénoncé les mêmes dérives.

A aucun moment la CDC ne critique, dans son dernier rapport, les options
des marchés publics de la CAPA et du Syvadec pour le Grand Bastia.
Les Corses sont en droit d’attendre de la CDC un plan d’action clair,
notamment en ce qui concerne la gestion publique des infrastructures de
traitement des déchets.
On ne saurait, dans ce domaine, se contenter de la mise en avant de
principes apparemment vertueux mais dont on cherchera, en vain, la
possible concrétisation.
Or la CDC le reconnait à demi-mots: ce secteur stratégique de l’économie
est « particulièrement sensible » pour ne pas dire pénétré par la mafia.
Il serait illusoire d’imaginer que la mafia des déchets ne veuille pas
profiter de l’opportunité inespérée que constitue une gestion privée des
infrastructures de traitement des déchets alors que les enjeux financiers
sont colossaux :

Quelques chiffres:
Coût d’un centre de tri Déchets Ménagers et Assimilés (DMA) : 11

millions d’euros/site

Centre de tri Déchets des Activités Economiques (DAE) et Déchets Non
Dangereux (DND) du BTP : 7,5 millions d’euros /site
Unité de préparation des Combustibles Solides de Récupération (CSR) : 45
millions d’euros/site

Chaufferie (ndlr: incinérateur avec production d’énergie) pour CSR : 119
millions d’euros / site.
(cf p 133-153
Aucune analyse détaillée des coûts n’est proposée dans le plan.
Pour quelles raisons l’Office de l’Environnement, ou une régie publique ,
ne seraient-ils pas chargés de gérer le traitement des déchets une fois les
infrastructures réalisées comme cela se pratique régulièrement sur le
continent ?

La création d’une situation de monopole de fait au profit de groupes privés
est le pire choix qui pouvait être fait en Corse compte tenu de l’emprise
mafieuse dans ce secteur de l’économie insulaire.

Les corses étaient en droit d’attendre de la CDC un choix clair au service
du bien commun et non au profit de groupes privés qui vont se gaver
d’argent public. (Nous n’abordons pas ici le choix fait par la CDC en
faveur de la filière CSR contredisant ainsi ce qu’elle affirmait encore en
2021)

2) Carte des ESA, révision du Padduc et mafia du béton :
La carte des ESA va être annulée, à nouveau, alors que doit être réalisée
aussi la révision du Padduc !
La CdC, dans ces deux domaines, est seule responsable.

Là encore, nul besoin d’attendre l’autonomie pour inscrire dans le Padduc,
les critères clairs qui caractérisent les ESA, conformes à la réalité des
terres agricoles en Corse, afin de les sauver de la mafia du béton et assurer
la vitale autonomie alimentaire.
Cette carte va donc devoir être à nouveau révisée, provoquant, en attendant
sa future adoption, un vide juridique dans lequel vont s’engouffrer les
spéculateurs. Que compte faire concrètement la Collectivité de Corse ?
Va-t-elle enfin se décider à agir en justice contre les documents
d’urbanisme qui violent le Padduc et/ou la Loi Littoral ?
S’agissant de la révision du Padduc on ne peut que constater l’absence
totale de clarté en ce qui concerne les intentions de la Collectivité de
Corse : les corses ne sont au courant de rien alors que l’enjeu est capital et
que la spéculation immobilière est une des principales sources de profit
pour la « criminalité organisée ».
Le « détricotage » de la Loi Littoral et une révision généreuse du Padduc
est l’objectif prioritaire des spéculateurs, de la mafia du béton de luxe : là
encore, que compte faire la CdC ?

Perspectives

Il est illusoire de prétendre construire l’autonomie de la Corse si la CDC
refuse de lutter, dès à présent, contre la mafia, dans les domaines qui
relèvent directement de sa compétence.
Une autonomie fondée sur une économie insulaire pénétrée par la mafia ne
serait qu’une illusion d’émancipation, une soumission de fait.
Une autonomie fondée sur le pouvoir économique, et donc politique, de
quelques familles n’est qu’un leurre.
Qu’on ne nous accuse pas de nuire, par notre intervention, au consensus
qui s’est dégagé en vue de l’obtention de cette autonomie dont le contenu
concret reste étrangement flou.
Nous nous interrogeons légitimement sur le changement de cap si soudain

du gouvernement à l’approche des élections présidentielles mais surtout à
l’approche des immenses chantiers et marchés que seraient la réalisation et
l’exploitation des usines de traitement des déchets, la construction de futur
port de commerce Bastia et l’immense zone d’aménagement qui lui sera
contigüe, et bien sûr une révision du PADDUC qui ouvrirait plus encore
nos côtes à l’urbanisation.

L’autonomie de la Corse, si elle doit se réaliser, ne peut se faire sur la base
d’un rapprochement et un partage du « gâteau » entre une quinzaine de
familles, la mafia et les multinationales françaises du déchet, de l’énergie
et des travaux publics, au détriment des corses condamnés à être les
victimes de marchandages occultes.
Qu’on ne nous reproche pas d’occulter les responsabilités accablantes de
l’Etat et de sa Justice dans la quasi -faillite de la lutte contre la mafia qu’il
refuse de nommer en tant que tel et qui s’oppose à la mise en œuvre d’une
législation adaptée à ce type de criminalité : nous n’avons cessé de le faire
depuis la création du Collectif.
Mais un consensus fondé sur le déni de la réalité mafieuse à l’œuvre en
Corse et sur le refus de la combattre concrètement dès aujourd’hui, ne sera
qu’une trahison de plus des légitimes espoirs de notre peuple et de sa
jeunesse.