Manifeste

MAFIA.

Enfin le mot est prononcé. Enfin la chose est nommée.
Pendant longtemps on a parlé de situation prémafieuse (procureur Legras, rapport Glavany). Aujourd’hui certains continuent de parler, avec une pudeur surprenante de « situation prémafieuse », et pire encore, d’autres nient la réalité de la mafia en Corse.
D’ailleurs, « La mafia n’existe pas ! La mafia, elle même le dit ! ».

Enfin la chose est nommée !
Et ce sont des Corses, les premiers, sur les réseaux sociaux, qui ont identifié l’origine de l’assassinat de Massimu Susini.
Sa personnalité, son éthique, ses combats ne laissaient aucun doute sur l’origine de son assassinat. Ce n’était pas un règlement de comptes entre bandes rivales, c’était un crime mafieux.

Maintenant que le terme est admis, il reste à lui donner une définition.
La mafia n’est pas un fantasme et il ne faut pas fonctionner avec des références géographiques, historiques ou cinématographiques pour savoir si la mafia en Corse correspond au modèle sicilien.

L’élément premier de la définition de la mafia, c’est qu’elle est un pouvoir occulte. Un pouvoir qui ambitionne de contrôler l’ensemble de la société, laissant sur le devant de la scène des pantins, conscients ou non. Elle veut généraliser dans le corps social le type de gouvernance qu’elle applique déjà dans les entreprises qu’elle possède.

Il ne faut pas croire que la mafia se résume à la violence, aussi cruelle soit-elle. La violence mafieuse, celle qui est apparente, n’est qu’un des aspects de son activité malfaisante. Elle l’utilise quand elle ne peut faire autrement et on peut même dire que c’est une preuve de faiblesse.

La mafia aime avant tout le calme et la discrétion. Elle est un pouvoir occulte, elle n’aime pas être dans la lumière.

Aujourd’hui, elle est pourtant dans la lumière. Dans la lumière de Massimu.
Mais pourquoi assassiner Massimu, si c’est « un aveu de faiblesse » ?
Eh bien, c’est qu’elle n’avait pas mesuré l’impact de son crime. Personne n’avait mesuré ce que l’assassinat de Massimu provoquerait d’émotion et de révolte en Corse. Ni sa famille, ni ses amis.

C’est spontanément que des centaines de Corses se sont exprimés (réseaux sociaux, messages, présence, participation aux débats…). Ils ont compris la nature mafieuse de l’assassinat de Massimu. Ils l’ont compris du fait même de la personnalité de Massimu, ils l’ont compris parce qu’ils savent et sentent ce qui se trame dans leur pays. Ils ont une conscience. Et ils savent que nous venons d’entrer dans une nouvelle dimension de l’activité criminelle de la mafia.

La mafia est en train de procéder à une mutation visant à passer au stade supérieur de son activité. Elle est déjà un pouvoir occulte dans certains secteurs d’activité. Elle veut plus. Elle veut tout le pouvoir.

Comment en est-on arrivé là ?

Comment un danger aussi périlleux a-t-il pu se développer dans notre propre maison ?
La criminalité est une réalité dans presque toutes les sociétés humaines. Normalement, elle est à la marge de la société (elle est marginale).

En Corse, ce n’est plus le cas.
En Corse, la criminalité a pignon sur rue. Pour quelques uns c’est un modèle. Elle, elle ambitionne d’être la norme.

Les bandes mafieuses qui se faisaient la guerre pour le marché de la drogue,des machines à sous, pour le contrôle du racket, ou d’institutions consulaires ont compris qu’elles pouvaient tout avoir en unissant leurs forces.

Ce qui est curieux, c’est qu’elles aient atteint ce niveau de puissance, alors que les autorités représentant l’Etat français, seul détenteur de la violence légitime, possèdent en Corse de formidables moyens de renseignement et de répression.
Comment ce danger mortel pour nous tous est-il parvenu à penser qu’il était à portée du pouvoir total ?

Il n’y a pas eu de plan préalablement établi par une main mystérieuse avec un rituel mystique.
Non ! Ce sont plusieurs bandes de voyous qui ont commencé leur action criminelle en occupant un terrain délaissé par leurs aînés (en les tuant quelques fois).
Et puis, elles ont continué à se développer, au gré des règlements de comptes entre bandes rivales, sans se voir opposer une résistance sérieuse de la part des autorités publiques. La population regardant et subissant.

Ces bandes, plus ou moins puissantes, ont mis fin à leurs affrontements en s’alliant. Avec la mise en commun de leurs forces, elles atteignent un niveau de dangerosité jamais connu en Corse.
Ainsi, elles se sentent de taille pour s’attaquer et menacer l’ensemble de la société corse.
C’est ce qui explique sa présence, par sous-traitance, sur le territoire cargésien, qui n’a pourtant pas de traditions de bandits ou d’activités criminelles.

Ce territoire de Cargèse, sans traditions criminelles, sans autre activité économique que quelques services publics et une multitude de petites entreprises commerciales, souvent saisonnières. Rien de mirifique. Mais quand même, dans l’ensemble, une accumulation de richesses qui attire des jeunes gens (dont quelques-uns sont originaires du village) qui ne comptent pas faire leur journée de travail pour vivre, mais plutôt capter une bonne partie de ces richesses pour leur profit et celui de leurs petits affidés.

Bien entendu, il leur faut aussi des commerces afin de laver l’argent du trafic de drogue.
L’argent récolté servant aussi à fidéliser certains très jeunes gens, qui sont attirés par la facilité à avoir de l’argent, et sans doute aussi, par la relative impunité dont bénéficient, en fin de compte, ces criminels.

Massimu s’est opposé verbalement et physiquement à ces menées. « Il a mis sa peau sur la table », et le savait. Sans changer de vie, parce qu’il ne voulait pas céder un pouce de terrain aux voyous.

Nos criminels locaux ne se sentant pas de taille, ont prévu de l’assassiner. Il le savait. Ils projettent d’autres assassinats. Pour cela ils vont chercher le soutien de bandes bien plus puissantes à Ajaccio. De bandes bien implantées, qui ont pignon sur rue, et qui, pour certaines, font partie de « la bonne société ». Les fameux « voyous en costumes » dénoncés par le député Colombani à l’Assemblée Nationale, visant les délinquants en cols-blancs.

Dans un échange de services criminels : « aide-nous à tuer un tel à Ajaccio, on t’aidera à te débarrasser de celui qui te gêne à Cargèse ».
« Ainsi, sous notre protection tu seras le petit parrain de Cargèse ».

L’assassinat de Massimu a deux objectifs : « nettoyer » le terrain pour leurs activités de prédation et semer la peur pour les favoriser encore plus.
Personne ne pourra échapper à cette emprise si nous ne réagissons pas immédiatement.
Si certaines personnes pensent être au calme dans leur villa, pensant que ce ne sont pas leurs affaires, elles vont vite comprendre, trop tard sans doute, que personne ne sera tranquille sans payer un tribut à la mafia. C’est une question de temps.

La mafia a pour objectif le pouvoir occulte. Le vrai pouvoir.
La mafia c’est bien sûr des voyous (des voleurs, des criminels, des assassins), mais la mafia c’est aussi une partie du monde économique (des corrompus, des lâches, des hommes de paille, des relations d’intérêts fondées sur les détournements d’argent et l’escroquerie). La mafia c’est aussi la corruption et la lâcheté d’une partie du monde politique (pour obtenir les marchés publics, modifier les PLU, des permis de construire illégaux). La mafia n’a pas d’idéologie, elle ne vise que le pouvoir. Elle s’adapte donc à tous les partis présents en Corse. Tous les partis.
Mais la mafia n’a pas trois composantes, elle en a quatre.

La quatrième, bien cachée, c’est une partie de l’appareil d’Etat (la police, certains services, utilisent la mafia et en contrepartie lui laisse les mains libres en Corse (lettre du procureur de Bastia demandant le départ du chef de la police), de certains magistrats (oubli de l’appel, perte de dossier, libération de complaisance, acquittement miraculeux…)
On reconnaît un élu ou représentant de l’Etat complaisant avec la mafia par sa grande réticence à la nommer. Car il sait !

Il ne s’agit ici ni de folklore ni de stigmatisation. Chacun reconnait ici, que nous vivons des temps particuliers, des temps qui ressemblent à des temps maudits.

Nous devons regarder ces choses en face, les nommer. Afin d’identifier clairement le mal. Son origine et ses mécanismes d’oppression. Nous devons le faire pour pouvoir construire une démarche populaire de résistance et des outils adaptés pour le détruire avant qu’il ne nous détruise.

C’est la raison de votre présence ici. C’est pourquoi ils ont ôté la vie à Massimu à l’âge de 36 ans.

Cet assassinat nous fait franchir un pas supplémentaire dans l’enracinement du phénomène mafieux.
Désormais la mafia s’attaque à la société corse. À ce qu’elle a de meilleur. Sa jeunesse, son honnêteté, son courage, son travail.
Ce qui représente le vieux peuple corse, ses valeurs, ses qualités, est un obstacle à l’expansion de la mafia. Il faut détruire et tuer les Corses pour les remplacer par une population apeurée et soumise.
La mafia se nourrit de la peur et de la servilité.

Notre réponse, votre réponse est en premier lieu la prise de parole. Puis la constitution de ce Collectif qui sera le porte-voix des adhérents et sans doute au-delà.

L’opposition de Massimu Susini à voir son village se constituer un territoire mafieux devient notre mission.
Bien plus, nous devons établir des liens avec d’autres personnes, d’autres territoires, d’autres associations pour que toute la Corse soit libérée de la mafia.
La prise de conscience de Massimu, son courage, son action et sa mémoire sont notre référence et notre guide.


La création de ce Collectif vise :

  • À refuser que Cargèse soit sous l’emprise de la peur
  • À signifier clairement aux assassins et à leurs complices que, à l’exemple de Massimu, on ne permettra pas que Cargèse devienne un territoire mafieux.
  • A être très attentif au déroulement de l’enquête, afin de savoir si tous les moyens ont été employés pour permettre l’arrestation des assassins et de leurs complices.
  • À développer des liens de solidarité et d’entraide avec d’autre territoires corses soumis à la pression mafieuse.
  • À soutenir toutes les actions visant à dénoncer et faire reculer la mafia.
  • À faire des proposition afin de se doter d’outils juridiques performants pour combattre la mafia :
    • Constituer le délit d’association mafieuse.
    • Saisie conservatoire des biens des mafieux et de leurs complices, puis distribution à des coopératives après condamnation
    • S’assurer d’une solide politique d’aide et de soutien aux collaborateurs de justice (les repentis). Avec des garanties dans les deux sens.
  • À mettre les pouvoirs publics (nationaux ou locaux) face à leurs responsabilités.
  • À se faire les porte-paroles des victimes de pressions ou de violences mafieuses.
  • À se porter, à terme, partie civile dans les procès mafieux.