Brut – Corse : une île face à la mafia

Première région d’Europe en nombre de règlements de comptes, la Corse est frappée par la violence de la mafia. Brut a pu rencontrer ceux qui dénoncent son emprise à visage découvert. Au pays de l’omerta, les langues se délient. Une co-production Brut et C Politique

Brut s’est rendu sur l’île, à la rencontre de ceux qui dénoncent ’emprise de la mafia à visage découvert.

  1. C’est le nombre d’homicides ou de tentatives d’homicide qui ont été recensés en Corse depuis 2004. L’île est ainsi devenue la première région européenne en nombre de règlements de compte. Notre reporter Raphaël Tresa a pu rencontrer ceux qui dénoncent l’emprise de la mafia à visage découvert.

Car au pays de l’omerta, les langues se délient depuis la mort de Maxime Susini en septembre dernier. L’homme appartenait au mouvement nationaliste, mais il était aussi connu pour son engagement pour la préservation de l’environnement. Un militantisme qui dérangeait les mafieux de cette région du sud de la Corse.

« Toute personne en Corse qui lève la tête est susceptible d’être en danger »

Pour l’oncle de Maxime, Jean-Toussaint Plasenzotti, ce sont ses engagements qui lui ont coûté la vie. Depuis l’assassinat, il a fondé le collectif anti-mafia Massimu Susini. « Une petite bande de voyous de petite envergure a commencé à s’organiser à Cargèse autour de la drogue, dans un premier temps. Et puis elle a commencé à avoir des ambitions plus importantes de racket, et Maxime s’y est opposé », raconte Jean-Toussaint Plasenzotti.

Pour lui, les mafieux ont fait quelque chose d’irréversible et doivent en payer les conséquences. « Il y a des personnes qui n’accepteront pas que ces crapules s’emparent du territoire cargésien. Toute personne aujourd’hui en Corse qui lève la tête, qui lève les yeux, qui ouvre la bouche, est susceptible d’être en danger. Mais de toute manière, je ne me crois pas plus en danger que si je ne parlais pas », constate-t-il avec rage.

Mais les choses sont en train de changer, selon lui. « Les gens donnent leur nom, leur numéro de téléphone, leur courriel. Ce n’est pas évident en Corse », analyse Jean-Toussaint Plasenzotti. Il affirme cependant que les bandes ont établi une liste de gens à tuer, et que Massimu était le premier de cette liste. « Il y a une urgence de sécurité pour les personnes en question. Là, on n’en est même pas à proposer un modèle alternatif, on est sur la défensive. C’est-à-dire survivre physiquement et survivre socialement. »

« La population ne peut être que retranchée chez elle »

Si les citoyens sont les premières victimes de la mafia, le crime organisé s’attaque aussi aux maires. Le 23 août 2018, un homme cagoulé tire sur les caméras de surveillance de la mairie de Centuri. Là-bas, les terrains en bord de mer valent de l’or, ce qui attise la convoitise. Sur la façade, plusieurs impacts de petits plombs. « Le message est très clair : la population ne peut être que retranchée chez elle », déplore David Brugioni, maire de Centuri de 2014 à 2020.

Il poursuit : « Le problème de l’urbanisme en Corse, c’est le nerf de la guerre, parce que dans les régions très convoitées comme le littoral avait été ouvertes à la spéculation pour rendre constructibles certains secteurs au détriment d’autres. Et c’est là où le bât blesse. On privilégie l’intérêt particulier de certaines personnes au détriment de l’intérêt général. »

« Des affaires qui ont touché les collectivités, des fonctionnaires corrompus »

Claude Chossat est un ancien de la Brise de Mer, un gang qui a régné pendant plus de 20 ans sur le nord de l’île. Il se dit repenti. Quand Brut l’a filmé en octobre 2019, il se cachait, très loin de la Corse. Pour lui, le problème n’est pas près d’être résolu : « Quand j’entends certains qui disent qu’en Corse, il n’y a pas de mafia, ça me fait rire, parce que tout démontre le contraire. Vous avez des affaires qui ont touché les collectivités, des affaires qui ont touché le Conseil général, des fonctionnaires corrompus… Et tout ça, c’est la définition d’un système mafieux. »

D’après Claude Chossat, l’argent des mafias est réinjecté dans l’économie locale, donc des affaires tout à fait légales. « Quelqu’un arrive, ouvre une affaire. L’affaire commence à avoir bonne presse et à fonctionner, ça attire la convoitise des voyous qui vont racketter. Si le commerçant n’accepte pas, soit on va le bastonner, soit on va lui mettre une charge explosive devant sa brasserie ou son restaurant pour qu’il paye. »

« Aujourd’hui, ça part un peu dans tous les sens »

Il explique la montée de la violence en Corse par le changement du paysage mafieux. « Par le passé, les rênes étaient tenues par deux clans, la Brise de Mer au nord, le clan Colonna au sud. Ils réussissaient à s’entendre et à établir une hiérarchie. Aujourd’hui, ça part un peu dans tous les sens, avec des équipes qui arrivent en périphérie et qui sont extrêmement violentes, notamment dans la région ajaccienne et la région de Cargèse. »

Depuis notre tournage en octobre 2019, Claude Chossat a été condamné à huit ans de prison pour complicité d’assassinat d’un des barons de la Brise de Mer. Après le verdict, sa femme a dénoncé un jugement, qui pourrait dissuader tous ceux qui veulent briser l’omerta. « Les gens ne parleront pas. On prouve bien que ceux qui viennent de parler, on les considère comme rien… Le président a reconnu qu’il a servi à la justice, mais en attendant, il a été condamné comme s’il était le baron de Brise de Mer », s’insurge Sandrine Chossat.

Source : https://www.brut.media/fr/news/corse-une-ile-face-a-la-mafia-53d6ef16-d608-4822-a592-4f39d29cf8ea