Corse Matin – Le collectif Massimu Susini appelle Collectivité de Corse et État à agir

Lors d’une conférence de presse, les membres du collectif ont dressé un bilan de leurs rencontres avec la préfète et les élus de l’Assemblée de Corse. Un constat : les outils de lutte contre la mafia sont là mais « personne ne veut s’en servir »

Le collectif anti-mafia Massimu Susini est finalement allé bien au-delà du bilan des actions qu’il était venu présenter, hier matin, dans l’une des salles de conférence de l’hôtel Best Western d’Ajaccio.

Ce « point » évoqué par l’une de ses figures, Ghjuvan’ Santu Plasenzoti, fut surtout l’occasion d’un constat amer, sans concession, à la suite de deux entretiens récents. L’un avec la préfète, l’autre dans le cadre de la conférence des présidents de la Collectivité de Corse où il fut question de débattre de la violence criminelle. Par cette conférence de presse, le collectif a souhaité affirmer que « les autorités politiques et étatiques ne sont pas sur le front, c’est nous qui y sommes ».

Sans doute parce que l’on est jamais autant déçu que par les siens, c’est d’abord aux élus de la CdC que sont allés les premiers reproches. « Le président Gilles Simeoni l’a affirmé, l’île se trouve dans une spirale infernale et est menacée à travers deux phénomènes : la spéculation immobilière et les marchés publics. Mais dans ces deux domaines, nos élus locaux ont toutes les compétences pour agir ! », insiste Jérôme Mondoloni.

Et que font-ils, selon lui ? « Rien, tout juste ont-ils réglé un problème concernant 600 m² d’une zone humide à Misincu, rien d’autre. Alors que la carte des territoires où l’emprise mafieuse est la plus forte et celle de la spéculation immobilière se superposent parfaitement. La CdC peut agir en justice mais elle ne le fait pas. »

Le défenseur de l’environnement évoque le dossier des espaces stratégiques agricoles (ESA). « Leur cartographie a été annulée en mars 2018. En six mois, la CdC avait la possibilité d’en voter une nouvelle, mais elle a décidé de « se donner le temps ». Cela a duré deux ans et déjà 1 500 hectares ont été artificialisés. La CdC a ouvert grand les vannes. »

Et Jérôme Mondoloni de rappeler que l’écrasante majorité des PLU annulés l’a été grâce au concours des associations de l’environnement. « La CdC avait voté en faveur du PLU de Prupià, par exemple, heureusement annulé grâce à U Levante. »

« Sentiment d’impuissance de la 6e puissance mondiale »

Cette mafia, toujours selon les porte-parole du collectif Massimu Susini, c’est également celle qui « prospère sur la concentration d’activités.

« Aujourd’hui, il n’est pas normal que quinze sociétés détiennent 95 % des ressources économiques de l’île. »

Jérôme Mondoloni affirme que le collectif « ne demande pas la révision de la Constitution mais seulement l’action à travers les moyens légaux dont dispose la CdC » et dont cette dernière ne se servirait pas pour « arrêter de faire des PLU aussi magouilleurs, cela ferait réfléchir mais, pour l’instant, rien. » « C’est pourtant de cette manière que la CdC montrerait à l’État sa véritable autonomie, en ne laissant pas faire n’importe quoi chez elle », insiste-t-il.

De l’entretien avec la préfète transpire surtout un « très inquiétant sentiment d’impuissance de la part de la sixième puissance mondiale », affirme le collectif. Impuissance à « faire appliquer le Padduc, alors que les maires, dès 2015, avaient trois ans pour mettre leurs PLU en conformité, mais rien ou presque n’a été fait. Entre-temps, l’État a continué d’octroyer des permis de construire, comme à Bonifacio ». Le collectif estime qu’il y aurait eu « 3 000 permis de construire en trop, essentiellement concernant des résidences secondaires ».

Quelle fut la réponse de la CdC ? « On nous a parlé d’une charte éthique de l’élu », affirme Pierre-Laurent Santelli, qui met en doute cette proposition par un exemple concret, celui d’un élu « cumulard » de la CdC dont il énumère les fonctions, sans le citer : « Maire, vice-président d’une communauté de communes, conseiller territorial, vice-président de la commission des finances, siégeant au conseil d’administration de quatre offices et agence (transport, environnement, foncier, urbanisme) ainsi qu’aux conseils d’administration et de surveillance des Chemins de fer et d’Air Corsica. Et on vient nous expliquer, toute honte bue, qu’un homme peut gérer ça tout seul. »

« Nous sommes des victimes »

Toujours selon les membres du collectif Massimu Susini, « un silence assourdissant s’est abattu à la conférence des présidents de la CdC lorsqu’il a été question des ESA, comme un constat accablant, un orage qu’on laisse passer. Si les nationalistes pensent que cela relève de la compétence de l’État, c’est à désespérer. La seule question qui nous a été posée fut celle-ci : « Pourquoi avoir créé deux collectifs ? ». Nous avons répondu par une question tout aussi stupide : « Pourquoi y a-t-il quatre tendances nationalistes ? ».

Toujours avec ce souci de s’attaquer à la spéculation immobilière, fer de lance de « l’emprise mafieuse », le collectif a proposé, entre autres, « un véritable contrôle des institutions avec un site dédié à la visualisation des permis de construire, la refonte et la redéfinition des agences et offices de la CdC, qui sont des outils essentiellement bureaucratiques ».

Ghjuvan’Santu Plasenzoti a insisté : « Nous ne sommes pas dans la dénonciation systématique. Nous sommes des victimes, ce peuple, ce pays, sont des victimes. »

Si le collectif ne souhaite pas entrer dans un débat sémantique autour du terme de mafia qu’il martèle, force est de constater que le mot est récusé par la préfète et employé « exclusivement de manière individuelle par les élus.

« Lorsque l’on refuse de nommer les choses, c’est que l’on ne veut pas être pris en faute. La préfète nous a avoué qu’elle avait des doutes sur certains marchés publics mais qu’elle ne pouvait rien faire. » L’occasion pour Ghjuvan’Santu Plasenzoti d’être sarcastique : « Gilles Simeoni a affirmé qu’il faudra 25 ans pour délivrer la Corse des réseaux mafieux. Cela nous paraît long pour quelque chose qui n’existe pas. »

« Il est naturel pour un citoyen de se défendre »

Face à l’impuissance et aux moyens inadaptés, le collectif craint « une catastrophe » qui pourrait faire déraper une situation jugée déjà critique. « A maffia faci i cosi sicreti ma pò tumbà à qualchissia in pubblicu, rappelle Rinatu Coti, président du collectif. Hè una perversioni di a cultura è, par avà, ùn ci hè micca rimediu. Ma ùn vulemu micca essa una preda allora chì ne u Statu, ne l’autorità eletta di Corsica anu circatu à aneantì ‘ssu sistema. »

« Il est naturel pour un citoyen de se défendre s’il se sent menacé, confie Ghjuvan’Santu Plasenzoti. Nous n’en sommes pas encore là, mais il faut être pleinement conscient de la situation si rien n’est fait par les services de sécurité de l’État et par les élus locaux. »

Source : https://www.corsematin.com/articles/le-collectif-massimu-susini-appelle-collectivite-de-corse-et-etat-a-agir-99306