Le Parisien – «On ne se taira plus» : en Corse, ils se lèvent contre la mafia

Après un nouvel assassinat sur l’île, plusieurs initiatives ont été lancées pour sensibiliser la société civile face à l’emprise de la mafia. Et à ne plus garder le silence.

 Corte, le 29 septembre. Jean-Toussaint Plasenzotti, l’oncle de Massimu Susini assassiné à Cargèse le 12 septembre.
Corte, le 29 septembre. Jean-Toussaint Plasenzotti, l’oncle de Massimu Susini assassiné à Cargèse le 12 septembre. LP/Pierre Murati

Il fut un temps lointain où Corte était le nombril du monde. Au XVIIIe siècle, capitale d’une Corse indépendante, la ville était admirée par les Lumières. Aujourd’hui, elle n’est plus qu’un joli bourg de montagne, à mi-distance de Bastia, la septentrionale, et Ajaccio, la méridionale. Mais elle reste un symbole pour la famille nationaliste. Ce dimanche après-midi, dans un amphi bondé de l’université Pasquale-Paoli, le mouvement indépendantiste Core in Fronte invitait à un débat pour « faire échec à la mafia ». Comme souvent sur l’île, un assassinat a servi d’électrochoc.

Le 12 septembre dernier, vers 7h50, un des compagnons de route de Core in Fronte, Maxime, dit « Massimu » Susini, 36 ans, ouvre son restaurant de plage à Cargèse (Corse-du-Sud) lorsqu’il est touché de deux balles tirées depuis les buissons. Le tireur avait coupé des branchages pour s’étendre sur le sol, plus à son aise… S’il n’entretenait aucun lien avec le Milieu, cet agriculteur et paillotier avait été plusieurs fois condamné pour port d’arme prohibé, refus de prélèvement ADN ou encore jet de projectile sur les forces de l’ordre dans le cadre de ses activités de militant et son passe-temps de supporteur de foot.

Pour la justice, il est encore trop tôt pour privilégier une hypothèse sur une autre. Piste privée, différend commercial, tentative de racket… Pour ses amis, qui ont tagué les murs de l’université – « On ne se taira plus, aujourd’hui on parle pour toi ! » – il ne faut pas chercher très loin les assassins. « Ils ont tiré comme à la fête foraine, enrage, les larmes aux yeux, l’oncle du défunt, Jean-Toussaint Plasenzotti, professeur de corse. Nous savions qu’il était menacé de mort. Et lui aussi en était conscient. »

Sur l’île, 100 propriétaires de voitures blindées

« Ils » ? « Une petite bande locale impliquée dans le trafic de drogue et le racket, adossée à un groupe d’Ajaccio, poursuit l’oncle. Massimu s’était opposé physiquement à eux. Il a fait savoir son désaccord. Mais il n’a pas voulu s’armer, refusant de vivre lui-même comme un voyou. Nous ne sommes pas face à une mafia constituée mais face à une mafia en voie de constitution. Elle avance. Si on ne l’arrête pas, elle fera encore un pas de plus… » Plus d’un millier de personnes étaient présentes aux obsèques, signe que le deuil cette fois était partagé au-delà du cercle nationaliste.

En rendant hommage au militant depuis la tribune de Corte, Jean-Félix Benedetti, chef de file de Core in Fronte, a rappelé ces « 375 homicides en vingt ans » dont « 4 maires en exercice, un avocat, un haut fonctionnaire, deux enseignants, un restaurateur, un paisible retraité et bien d’autres… » Depuis la mort de Susini, trente personnalités corses ont lancé un collectif anti-mafia. Parmi eux, un prix Goncourt, Jérôme Ferrari ou encore un ancien chef du FLNC reconverti dans les échecs, Léo Battesti. « Oui, la société corse a peur, tout le monde a peur. Moi aussi j’ai peur, admettait récemment ce dernier dans un entretien à Corse-Matin. Il faut que la société civile, trop silencieuse, se réveille. » Il y a du travail : selon un décompte effectué par le quotidien Le Monde, on estime à près de 100 le nombre de propriétaires de voitures blindées sur l’île, une « pour 3 000 habitants ».

L’assassinat de Massimu marquera-t-il un tournant ? On aimerait le croire. Mais de débats sur la violence à l’assemblée de Corse au récent collectif anti-mafia, les nombreuses initiatives passées n’ont jamais réussi à enrayer l’emprise du crime organisé. En 2012, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault déclarait : « La violence et l’affairisme ont atteint dans l’île un niveau sans commune mesure avec les autres régions françaises. Et cette situation menace les fondements mêmes de la société en Corse ». Qui s’en souvient ?

Source : http://www.leparisien.fr/faits-divers/on-ne-se-taira-plus-en-corse-ils-se-levent-contre-la-mafia-29-09-2019-8162697.php